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PETITE ETUDE HISTORIQUE SUR LES DRAGONS (Christophe Gouneau)

" Un bon Dragon doit être un franc démon, sans foy ni loy

De tous temps, les chefs de guerre ont cherché à avoir des troupes d’infanterie montée accompagnant la cavalerie [1]. Montées sur de mauvais chevaux ou en croupe des cavaliers, descendant avant le combat pour les assister et/ou pour tenir des points d’appuis en attendant l’infanterie lourde. Les Germains étaient des spécialistes en la matière, les Alains portait aussi de l’infanterie légère en avant garde. Mais ce sera l’invention de l’arme à feu qui entraînera l’apparition de troupes définitivement destinées à se déplacer à cheval et à se battre à pied.

1. Les origines des dragons

Les dragons apparaissent dans les armées d’Europe au cours du XVI° siècle [2]. Le Maréchal de Cossé Brissac est crédité de l’invention de ce corps de troupe en 1554 alors qu’il était en garde du Piémont entre 1550 et 1560, avec des effectifs réduits et dépourvu de cavalerie [3]. D’abord appelés arquebusiers à cheval, carabins ou argoulets, le nom de Dragons leur vient au début du XVII° siècle. Il est utilisé par Sully en 1591 lors du siège de Rouen par Henri de Navarre mais officiellement à partir de 1638. Plusieurs hypothèses courent sur son origine :

Il s’agissait bien d’avoir une troupe susceptible de se déplacer rapidement et de tenir le terrain par son feu. Il n’était pas question que ces “cavaliers” combattent à cheval, que ce soit pour tirer, le tir manquant par trop de précision et leur objectif n’étant pas de faire un service de tirailleurs, ou sabrer, leurs montures (ou bidets) étant choisis parmi les chevaux les moins solides. Armés de pistolets, épées (ou haches) et d’une arquebuse (ils seront dotés d’un fusil à baïonnette vers 1680) les Dragons sont intimement liés à l’arme à feu. Rapidement toutes les armées d’Europe se doteront de cette infanterie montée multi-usage. Ils s’avancent sur les devants et les flancs de l’armée afin de l’éclairer et de tenir des positions avancées en attendant d’être relayés par l’infanterie, piller aussi les ravitaillements ennemis et le pays avoisinant... Leur utilité est aussi flagrante pour couvrir une retraite.

2. Les dragons jusqu’à l’Empire

 Les Guerres de Religion achevées, l’armée -extrêmement coûteuse- est ramenée à des proportions réduites mais un corps de 100 carabins est maintenu dans la Maison du Roi. En 1615, chaque compagnie de cavalerie légère se verra adjoindre une bande (peloton) de carabins, puis ils seront regroupés peu après en un corps spécifique. Richelieu créera 6 régiments en 1635. 10 ans plus tard, le premier régiment “ officiel ” de dragons se couvrira de gloire lors du siège de Quesnoy. En 1667, Louvois proposera au Roi d’être Colonel-Général des Dragons. En 1679, les quatorze régiments de dragons, dits les “ Quatorze vieux ”, encadraient 10 000 hommes. Leur usage est vraiment polyvalent de même que leur sujétion. En effet, lors des sièges ils sont sous le commandement de l’infanterie mais passent sous celui de la cavalerie en campagne, lorsqu’ils remontent à cheval. De ce fait et pour les puristes, ils n’avaient droit qu’à un guidon en tant qu’auxiliaires de la cavalerie, l’enseigne n’étant attribuée qu’aux hommes d’armes. A partir de la fin du XVII° siècle, ils se comporteront de plus en plus comme de la cavalerie assurant des charges. Maurice de Saxe le regrettera en souhaitant qu’on leur fasse donner de mauvais chevaux (afin d’éviter qu’à la démonte trop d’hommes restent à l’arrière pour garder de bonnes montures !) et en indiquant à un colonel de l’arme “ (qu’) il commence à leur donner de trop bons chevaux ; ils vont oublier qu’ils sont faits pou se battre à pied ”.

Voyons maintenant quelques actions d’éclats de ces braves gens :

Durant tout le XVIII° siècle, les dragons combattront comme des cavaliers. Est-ce à cause de leur réputation de férocité que Louis XIV les envoya s’installer dans les Cévennes pour “ pacifier ” les Camisards grâce à leurs célèbres et féroces “ dragonnades ” ?

3. Des “mauvais à tout” au “Caballeros de oro”

A la veille de la Révolution (17/03/1788) 6 des 24 régiments royaux deviennent des chasseurs à cheval, ce qui tend à prouver qu’ils ne combattaient guère à pied. La République héritera donc 18 régiments de dragons. Ils connaîtront des fortunes diverses à travers les champs de bataille de l’Europe pendant 10 ans. Je passe sur les créations, suppressions et recréations de régiments courantes lors de cette période troublée. De même je ne m’étendrais pas sur les particularités de leur uniforme, je vous renvois pour cela à l’étude des formidables ouvrages du Commandant Bucquoy (merci mon commandant), aux Füncken et aux Osprey. Juste un détail : la fameuse bande en léopard qui orne leur casque est bien en léopard ... des mers !
 Sous le Consulat et l’Empire, l’armée sera réorganisée de façon beaucoup plus précise par ce génial organisateur qu’était Napoléon. Sentant la nécessité de disposer de troupes montées susceptibles de combattre à pied, l’Empereur créa 2 divisions de dragons à pied en 1803 au camp de Boulogne. Il n’en resta qu’une pour la campagne d’Allemagne en 1805 : la division Baraguay d’Hilliers (7 200 hommes organisés en bataillons provisoires issus de régiments de dragons montés à l’origine). Napoléon compte les transformer en cavalerie avec les prises Autrichiennes. De fait, il sera fort déçu par ces soldats qui ne sont "ni de bons cavaliers ni de bons fantassins". Et pour cause : ils portent des bottes trop hautes pour bien supporter les marches infernales que leur impose le Petit Caporal et trop courtes pour bien se tenir à cheval. Baraguay d’Hillier leur faisant même faire des guêtres ! Cela lui vaudra la ire de l’Empereur qui lui reprocha de les entraîner comme des fantassins. De fat, peu habitués à marcher (surtout aux cadences infernales imposées par le Tondu) ils souffrent beaucoup dès les premiers jours et n’étant pas rompus aux tactiques d’infanterie ils subiront quelques “ surprises ” désagréables qui nuiront à la réputation de leur général d’ailleurs. Honnêtement, c’est aussi le manque de chevaux qui a amené la création de cette unité. D’autre part, leur fusil est trop court pour être efficace en tant qu’arme d’infanterie. Dès le 23/10/1805, Berthier annonçait à Baraguay d’Hillier : “ L’Empereur a fait connaître que son intention est de monter tous les dragons à pied ”.
Cependant, un autre essai eu lieu en à partir du 12/09/1806 avec deux régiments formés d’hommes tirés des dépôts de dragons mais encadrés par des officiers de la Garde et par ailleurs rattachés à la Garde (le 1° au Grenadiers, le 2° aux chasseurs). Ils seront remontés avec les chevaux pris aux Saxons et aux Prussiens en octobre et novembre de la même année et rejoindront leurs régiments d’origine.
Pour être exhaustif il faut citer la création d’une unité de dragons à pied en 1805 en Italie par Masséna mais elle sera dissoute en janvier 1806 après la fin de la campagne en Allemagne. Il ne faut pas confondre ces corps avec les régiments provisoires de dragons que l’on retrouvera en Espagne mais qui ne sont que des cavaliers démontés en attente de remonte.

Napoléon tenait à disposer de troupes aptes à accompagner la cavalerie légère en avant garde, arrière garde ou flanc garde et capable de démonter pour tenir des positions en attendant les renforts. Je le cite : ” Une division de 2 000 dragons qui se porte rapidement sur un point avec 1 500 chevaus de cavalerie légère peut mettre pied à terre pour y défendre un pont, la tête d’un défilé, une hauteur et attendre l’arrivée de l’infanterie. De quel avantage cette arme n’est-elle pas dans une retraite ! ”. Pour lui, les dragons doivent être toujours rompus au combat à pied.

Les dragons combattent comme cavalerie dite moyenne ou de ligne (au même titre que les lanciers apparus en 1811 par transformation de régiments de ... dragons !) par opposition avec la légère (chasseurs à cheval et hussards, parfois lanciers et chevau-légers lanciers) et la lourde cuirassiers et carabiniers. Ils participèrent à toutes les campagnes de l’Empire mais la majorité des régiments servira et se couvrira de gloire en Espagne où les Espagnols les appelleront “ cabeza de oro ” (“ casque d’or ” à cause de leurs casques en laiton) puis "cabalero de oro" (“ cavaliers d’or ”, à cause de la sainte terreur qu’ils inspiraient dans leurs charges). En 1814, leur retour en France sera considéré comme providentiel et capable de retourner la situation. Mais napoléon n’oublia pas leurs capacités à se battre à pied puisqu’outre le fait qu’il interdisait de verser des officiers d’un type de cavalerie dans un autre.
Ils finiront leur épopée glorieuse en Belgique entre le 15 et le 21 juin 1815. 12 régiments de dragons franchiront la frontière : 2 au IV° corps, 8 formant le corps de cavalerie d’Exelmans et 2 endivisionné avec les carabiniers dans la division l’Héritier du III° corps de cavalerie de Kellermann. Ils ne seront donc que deux à se ruer sur les carrés Anglais en ce fatal 18 juin 1815.

Les dragons continueront leur carrière dans des armées de moins en moins propices aux belles actions de cavalerie pour échanger entre les deux guerres mondiales, leur montures pour des blindés.

[1] “ A toutes les époques, les chefs de guerre se sont efforcés d’adjoindre à leur cavalerie des troupes moins bien recrutées mais capables de se déplacer rapidement et de combattre comme de l’infanterie. Nos Dragons en sont la preuve. A deux reprises, ils se sont changés en peu à peu en cavaliers légers, répudiant le service pour lequel ils avaient été formés. Cependant, ce service a toujours été si nécessaire que toutes les armées se sont vues forcées de reconstituer des troupes spécialement destinées à cet usage ”. (général de Négrier : “ Cavaliers et Dragons ” in “ Revue des deux Mondes ” 1902

[2] Montluc nous indique qu’à Cerisolles (1544) l’armée Française alignait “des arquebusiers à cheval, lesquels mettaient pied à terre” au moment opportun.

[3] Le Maréchal de Brissac monta avec quelques fantassins d’élite et des chevaux pris à l’ennemi une troupe particulière : “ on s’en servait pour escorter les convois, pour battre l’estrade, pour harceler l’ennemi dans une retraite, pour occuper promptement un poste où l’on ne pouvait faire marcher assez tôt l’infanterie. Ils combattaient tantôt à pied tantôt à cheval, mais le plus souvent à pied (...). On ne les faisait pas combattre en escadron ou en bataillon serré, mais on les rangeait sur plusieurs lignes éloignées les unes des autres, qui après avoir fait leurs décharges, allaient à la queue pour recharger leurs arquebuses, à moins qu’ils ne fussent pressés par l’ennemi et obligés de mettre l’épée à la main ”

 

 

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