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J’étais parmi les dragons. (écrit par un de nos dragons après la reconstitution de 1995) Revue HippoNews, Janvier 1999

Cela faisait bien 3 heures que nous nous trouvions sur ce champ de bataille historique de Waterloo. 
Nos pensées étaient retournées 180 ans en arrière à l'époque où ce petit village devait être la dernière étape avant l'entrée triomphale de Napoléon dans Bruxelles.
Partout sur la morne plaine on voyait des canons cracher le feu et s'envelopper dans un nuage de fumée. Parfois des groupes s'élançaient vers les ennemis, du moins vers ces gens que l'on qualifiait de tels, tiraient quelques coups de fusil puis s'en revenaient abandonnant quelques soi-disant blessés et quelques soi-disant morts qui se relèveraient quelques minutes plus tard. Il n'y avait pas beaucoup de danger pour ces fantassins car tous les fusils et les canons étaient chargés à blanc. 
De temps en temps, un groupe de cavaliers partait au galop, tournait autour des carrés anglais et... un cheval revenait seul. Nous n'ignorions pas que dans ce cas, l'infortuné cavalier n'avait pas choisi de jouer au blessé. Mais à force de lire des récits de bataille, nous voulions nous prendre pour ces hommes qui en tombant n'avaient qu'un cri à la bouche : "Vive l'Empereur !"  
Telle était l'ambiance dans cette centaine de cavaliers présents le 18 juin 1995 parmi les 2.000 reconstituants venus de partout en Europe et même des États-unis représenter les 3 armées françaises, anglaises et prussiennes qui s'affrontèrent le 18 juin 1815.
Enfin l'ordre de charger arriva ! Notre régiment tout récemment constitué n'ayant pas encore subi le baptême du feu, nous nous plaçâmes derrière un groupe de cavaliers plus expérimentés. Devant moi, un cuirassier sortit son sabre. La longue lame d'acier posée sur son épaule ne me rassura guère : en cas de chute, celle-ci pouvait très bien être projetée sur moi. 
Je n'eus pas beaucoup le temps d'y penser, déjà les chevaux se mettaient en mouvement. Nous avions cru pouvoir rester au trot quelque temps mais cette pensée devint vite illusoire : les chevaux soumis à l'euphorie générale prirent directement le galop. 
C'est alors que je vis à ma droite, une douzaine de cavaliers foncer sur nous (Je devais apprendre plus tard que c'était des anglais qui nous chargeaient  mais comment comprendre quelque chose au milieu de ces uniformes de toutes les couleurs, de ces coups de fusils et de canons qui partent de devant, de derrière, de droite, de gauche et que tel Mazeppa (*) vous vous trouvez emportés au galop sur un cheval qui lui, n'a compris qu'une seule chose : la fuite en avant ). 
Nous fûmes complètement disloqués, les chevaux partant dans tous les sens. Avisant un carré anglais d'une centaine d'hommes, je me retournai pour appeler les autres dragons : seul Frank m'avait suivi.  Le spectacle de ces soldats admirablement groupés autour de leur étendard qui claquait au vent avait quelque chose de surréaliste. Seul Victor Hugo pourra décrire ce que l'on ressentait sur la morne plaine, moi, je ne puis vous dire que ce que mes yeux ont vu : Ils étaient là, devant moi, groupés l'un contre l'autre, formant un carré, le premier rang avait le genou posé par terre et ils tenaient leur fusil crosse contre terre formant une muraille impénétrable, le deuxième rang épaulait ses fusils et visait ceux qui auraient pu les approcher de trop près. Derrière ou plutôt au milieu du carré, avec les femmes et les enfants, on rechargeait et on regardait les centaures arriver. 
Nous n'étions plus des reconstituants, nous n'étions pas non plus des soldats, nous étions des fantômes emportés par des chevaux qui nous entraînaient dans un galop qui remonte le temps. 
Nous fîmes le tour du carré sans toutefois oser approcher de trop près. Je  voulus sortir mon sabre, mais le bruit de la lame battant dans le fourreau effraya mon cheval, je dus y renoncer ; 
Levant alors le bras, je poussai un " VIVE L'EMPEREUR " qu'un photographe eut le bonheur de surprendre.
La Morne plaine- 18 juin 1995
Au retour de cette charge, nous croisâmes une civière : La Croix-Rouge emmenait un reconstituant vers l'hôpital. 
La couverture étendue sur son corps ne nous permit pas de reconnaître son uniforme. Et pourtant nous le connaissions bien cet uniforme gris avec son drôle de chapeau !
Deux jours plus tard, nous apprîmes que l'Empereur était sorti du coma : Bien qu'ayant joué ce rôle de nombreuses fois, à près de 70 ans, le choc psychologique avait été trop fort. Il ne se souvenait plus de rien.
Par contre chez nous, un petit cheval continue à galoper dans la tête.
Si vous aussi, vous avez un petit cheval qui galope dans la tête, si vous aimez l'Histoire et voulez revivre les bicentenaires des batailles napoléoniennes (1999 à 2015), rejoignez la reconstitution historique, l’Histoire a besoin de vous.

Ce texte a été publié dans le nr 267 de la revue hippique HippoNews (Janvier 1999)

Gérard  

(*)Mazeppa : Symphonie Nr.6 de Fr. Liszt  d'après un poème de Victor Hugo relatant les aventures d'un jeune polonais, lequel ayant levé les yeux sur la femme de son maître, fut attaché, nu, sur le dos d’un cheval fougueux dont la course sauvage le conduisit jusqu'en Ukraine. Sauvé par des paysans, il finira roi.
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